Ce poème a été repris (lu ou chanté) par différents
artistes : d’abord Yves Montand puis Mouloudji, les Frères Jacques, Serge
Reggiani… On ne connaît pas l’identité de cette Barbara. Plusieurs Brestoises se
prénommant Barbara ont écrit à Prévert qu’elles se reconnaissaient dans cette
évocation mais l’écrivain n’a jamais donné suite.
Rappelle-toi Barbara / Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là / Et tu marchais souriante
Epanouie ravie
ruisselante / Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara / Il
pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue
de Siam / Tu souriais / Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne
connaissais pas / Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi / Rappelle-toi
quand même ce jour-là / N'oublie pas
Un homme sous un porche
s'abritait / Et il a crié ton nom / Barbara
Et tu as couru vers lui
sous la pluie/ Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans
ses bras
Rappelle-toi cela
Barbara / Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux
que j'aime / Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux
qui s'aiment / Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara / N'oublie
pas / Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
/ Sur cette ville heureuse / Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal / Sur le
bateau d'Ouessant
Oh Barbara / Quelle
connerie la guerre / Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
/ De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait
dans ses bras / Amoureusement
Est-il mort disparu ou
bien encore vivant
Oh Barbara / Il pleut
sans cesse sur Brest / Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil
et tout est abîmé
C'est une pluie de
deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus
l'orage / De fer d'acier de sang
Tout simplement des
nuages / Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui
disparaissent / Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
/ Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
"Paroles", 1946.
Jacques Prévert
(1900-1977)
Autant savoir.
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